Controversé de bout en bout, le projet de loi d’amnistie du président sortant Macky Sall est passé comme lettre à la poste au terme d’une journée mouvementée à l’Assemblée nationale.
Après plus de dix heures de débats épiques, le projet de loi portant amnistie des infractions criminelles et correctionnelles commises entre février 2021 et février 2024, à l’occasion de manifestations politiques, a été voté mercredi 6 mars à l’Assemblée nationale. Il a été adopté à 94 voix de la majorité et d’une partie de l’opposition parlementaire alors que 48 députés ont voté contre la loi là où deux de leurs collègues se sont abstenus.
La nouvelle loi d’amnistie permet à un nombre important de personnes détenues dans les prisons sénégalaises, dont le célèbre opposant Ousmane Sonko et son candidat à la présidentielle du 24 mars prochain, Bassirou Diomaye Faye, de recouvrer la liberté et rentrer dans les prochaines heures chez eux.
Plusieurs députés de l’opposition, particulièrement des proches de l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall, ont de prime abord exprimé leur opposition au projet de loi qui a été défendu par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Aissata Tall Sall.
Babacar Mbengue estime que le texte devrait être « reconsidéré et retiré tout simplement » parce qu’il absout selon lui des faits criminels qui se sont déroulés à Hann Bel-Air, une commune de la banlieue dakaroise dont il est le maire. Il fait référence à l’attaque au cocktail Molotov dans un bus de transport en commun qui avait coûté la vie à deux jeunes filles, en août dernier, au lendemain du placement sous mandat de dépôt du maire de Ziguinchor (sud), occasionnant de nouvelles violentes manifestations.
« Usage politicien de l’amnistie »
Confortant son camarade de la coalition Taxawu Sénégal, le député Babacar Abba Mbaye note que le président Macky Sall « est responsable de tout ce chaos » parce qu’il avait promis au tout début de son mandat qu’il allait « réduire l’opposition à sa plus simple expression ».
Lorsqu’il propose alors un tel projet de loi, le député et candidat à la présidentielle Pape Djibril Fall, dénonçant « l’usage politicien qui est fait de l’amnistie », estime qu’on « ne décrète pas une réconciliation nationale, on la secrète ».
En effet, Aissata Tall Sall a expliqué lors des travaux de la commission des lois de la veille « que ce projet de loi (n’était) pas destiné au président Macky Sall, aux manifestants ou ceux qui sont en détention » comme l’ont fait croire certains pourfendeurs qui estimaient que le Président Sall était en train de « dealer » ou « négocier » avec Ousmane Sonko. « Ce texte est pour l’avenir du Sénégal » conformément à la volonté de Macky Sall de « pacifier » l’espace sociopolitique avant son départ du pouvoir, le 2 avril prochain, date limite de son second mandat, a soutenu le ministre de la Justice.
A cet effet, les 25 députés du parti dissous Pastef de Sonko, dont la position sur le projet de loi était très attendue, ont presque tous indiqué lors des échanges qu’ils n’étaient pas opposés à un mécanisme législatif qui permettrait la libération des « détenus politiques» à la condition que la ministre leur précise si « les crimes de sang » faisaient partie du champ d’application de la loi d’amnistie.
« Depuis janvier 2021, nous avons dépensé 240 millions de francs CFA pour les honoraires d’avocats et des frais d’hospitalisation » pour les victimes des manifestations et d’autres personnes détenues se réclamant de l’idéologie de Pastef, un parti souverainiste fondé par Ousmane Sonko en 2014 avec des fonctionnaires de l’Etat, a expliqué Ayib Daffé, utilisant la tribune parlementaire pour dénoncer « les avocats de circonstance » des victimes des manifestations.
Réconciliation et pardon
Les députés de Pastef et plus généralement de la coalition Yewwi Askan Wi (libérer le peuple) n’ont finalement pas voté le projet de loi même si Aissata Tall Sall a tenté d’éclairer leur lanterne sur toutes les questions qu’ils ont soulevées.
« J’ai la claire conscience que ce n’est pas un travail facile. Les lois d’amnistie sont toujours clivantes », a reconnu Aissata Tall Sall avant de rejouer différentes scènes glaçantes des récentes manifestations politiques : le père des deux filles calcinées dans le bus qui dit « s’en remettre à Dieu » lorsqu’elle l’a contacté pour lui présenter ses condoléances, le policier tombé face à la furie de manifestants et préférant « rengainer » son « pistolet » avant de plonger dans le « coma », l’étudiant Prosper Senghor de l’Université de Saint-Louis (nord) qui reçoit « une grenade lacrymogène » à la poitrine avant de succomber à ses blessures quelques jours plus tard alors que son père avait fini « d’économiser de l’argent » pour qu’il puisse poursuivre ses études en « mathématiques »…
Face à tous ces exemples bouleversants, elle propose aux députés de s’inscrire sur la voie du pardon et de la réconciliation nationale tracée par le président Macky Sall. « Nous avons le devoir de nous retrouver en tant que Sénégalais et de faire preuve de dépassement », a recommandé Mme Sall avant de préciser à l’endroit des élus de Pastef que «toutes les infractions criminelles et délictuelles sont comprises dans le champ d’application de la loi» comme cela est mentionné dans l’article un du projet.
En revanche, « toutes les victimes seront assistées » à travers un mécanisme d’indemnisation à déterminer par « l’Etat (qui) sera à leurs côtés », a précisé le désormais ex-ministre de la Justice quelques minutes avant d’apprendre la nouvelle du limogeage du gouvernement par le président Macky Sall.
ODL/ac/APA