Dans cette interview, Serge-Auguste Kouakou, Directeur de la Fondation Mastercard au Sénégal affirme que le projet « Young Africa Works » cible 30 millions de jeunes africains dont 70% de jeunes femmes.
Voulez-vous présenter la Fondation Mastercard et de son orientation stratégique au Sénégal ?
Née en 2006 grâce à la générosité de MasterCard, la Fondation Mastercard est l’une des plus grandes fondations privées au monde. Elle a pour mission d’aider à créer un monde dans lequel chacun a la possibilité d’apprendre et de prospérer. La Fondation Mastercard fonctionne de manière indépendante avec son propre organe de décision et son conseil d’administration.
Depuis plus d’une décennie, la Fondation Mastercard a fait progresser l’inclusion financière et l’éducation en Afrique, améliorant ainsi la vie de plus de 45 millions de personnes. Même si elle ne s’est installée au Sénégal que depuis fin 2019, la Fondation y appuie des programmes depuis 2009.
C’est en 2018 que la Fondation Mastercard a lancé sa stratégie décennale dite « Young Africa Works », qui pourrait-être littéralement traduite par « la Jeunesse Africaine au Travail ». Cette stratégie vise à permettre à 30 millions de jeunes en Afrique, particulièrement les jeunes femmes qui représentent 70 % de la cible, d’accéder à un travail digne et épanouissant d’ici 2030. « Young Africa Works » se concentre sur les secteurs de l’économie qui sont alignés sur les priorités nationales de chaque pays d’intervention. Cette stratégie est actuellement mise en œuvre au Sénégal, au Rwanda, au Kenya, en Éthiopie, en Ouganda, au Nigeria et au Ghana.
Au Sénégal, la stratégie « Young Africa Works » lancée en 2019 s’articule autour de trois piliers :
• Favoriser la croissance des entreprises portées par les jeunes en améliorant leur accès au financement.
• Soutenir le potentiel des jeunes en mettant en relation ceux du secteur informel avec des programmes de certification et des opportunités de travail.
• Renforcer la qualité et la pertinence de l’enseignement secondaire ainsi que de la formation technique et professionnelle (EFTP).
Cette stratégie, déclinée en programmes, a été conçue de manière itérative sur la base de consultations externes, de diagnostics aux niveaux macro et sectoriels et d’approche intégrée des programmes et des processus, dans une démarche de cocréation, orientée vers un Impact mesurable. Nous avons démarré la mise en œuvre de cette stratégie mais avons été perturbé par la pandémie de Covid-19. Jusque-là, grâce à nos programmes, plus de 35 mille jeunes ont eu des opportunités de travail et d’emploi.
Parlant de la Covid-19, nous savons que son avènement a créé un contexte nouveau partout dans le monde. Comment cela a-t-il impacté votre programme au Sénégal et quelles ont été vos mesures de mitigations des répercutions de la pandémie ?
Au Sénégal, tout comme dans plusieurs pays au monde, la crise sanitaire est aggravée par les conséquences sociales et économiques telles que les pertes d’emplois, les fermetures d’écoles, une pauvreté accrue, etc. De nombreux secteurs comme le tourisme, le transport, la microfinance sont directement touchés et un pan important de l’économie est affecté par les effets d’entraînement des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, le ralentissement des activités de production, la difficulté à accéder aux intrants et aux marchés.
C’est dans ce contexte que la Fondation a analysé la situation et a consulté les principales parties prenantes pour déterminer les besoins sur le court et le long terme. Sur cette base, la Fondation a lancé un programme de mitigation appelé « Programme de Relance et de Résilience face à la Covid-19 » d’un montant total de près de 51 millions de dollars. Une dizaine de partenariats ont été signés dans des secteurs tels que l’éducation, la santé et l’agriculture.
Ce programme avait deux objectifs :
• D’abord apporter un soutien d’urgence aux personnels de santé, aux premiers intervenants et aux étudiants.
• Ensuite, renforcer les diverses institutions qui constituent la première ligne de défense contre les séquelles sociales et économiques de cette maladie. Il s’agit notamment des universités, des prestataires de services financiers, des entreprises, des start-ups technologiques, des incubateurs, des agences gouvernementales, des organisations de jeunesse et des organisations non gouvernementales.
A titre d’exemple, nous pouvons citer entre autres partenariats :
– Le programme de renforcement de la résilience qui vise à soutenir les micros, petites et moyennes entreprises (MPME) grâce à un partenariat avec Teranga Gestion. Il cherche à aider les entreprises à surmonter les effets négatifs de la crise de Covid-19 en leur donnant accès à des services de financement et de développement commercial. Cette initiative de trois ans cible les jeunes âgés de 15 à 35 ans, en particulier les jeunes femmes. L’impact escompté de ce programme porte sur plus de 270 MPME, environ 3.000 micro-entrepreneurs et 4.000 entrepreneurs du secteur informel. Ce programme cherche également à renforcer la capacité des institutions financières et à soutenir la transformation et la transition des jeunes entrepreneurs vers l’économie numérique.
– Le soutien au programme d’apprentissage en ligne du ministère de l’Education par le biais d’un partenariat avec SenEcole lors de la fermeture des écoles suite à la survenue de la pandémie de Covid-19. La Fondation a soutenu la mise en place d’une plateforme d’apprentissage numérique appelée Tecktal afin d’assurer la continuité des apprentissages pour les élèves en classe d’examen. La plateforme a enregistré plus d’un million d’utilisateurs. En outre, la Fondation soutient le développement d’une stratégie nationale d’apprentissage en ligne au Sénégal par le biais d’un partenariat avec l’UNICEF.
-Un soutien à la mise en œuvre d’un programme dénommé Agripreneuriat rizicole pour permettre à des groupes de jeunes ou à de jeunes entrepreneurs individuels de bénéficier de subventions pour créer ou développer leurs projets. Plus de 1.000 kits de démarrage, comprenant des semences, de l’engrais et une aide financière pour l’irrigation, sont fournis aux riziculteurs vulnérables. Près de 5.300 jeunes femmes et hommes ont également bénéficié d’une formation, d’un encadrement et d’un mentorat spécifiques. Le projet vise la création de 3.000 emplois au cours des trois prochaines années dans la chaîne de valeur du riz dans le delta et la vallée du fleuve Sénégal.
– Un soutien de la Fondation Mastercard à l’Institut Pasteur de Dakar qui a permis l’accroissement significatif de sa capacité de tests anti-Covid-19. A titre d’exemple, plus de de 57.000 échantillons provenant de diverses régions du Sénégal ont été testés en un mois, entre novembre et décembre 2020. Par ailleurs, la Fondation a apporté un soutien direct aux soins des patients avec la fourniture de respirateurs et d’équipements de protection à cinq établissements sanitaires des régions de Saint Louis, Kaolack, Ziguinchor, Thiès et Louga, ainsi que le renforcement de capacités du personnel de santé. Les centres de traitement Covid-19 des hôpitaux Dalal Jamm et Fann ont pu être mis à niveau grâce à l’appui de la Fondation.
-Les équipes d’hygiène et de désinfection ont été dotées de matériel de protection en plus d’une formation, grâce à un partenariat avec l’UNICEF. En outre, la fondation a soutenu la production de dispositifs de lavage des mains par des élèves et étudiants des écoles techniques et professionnelles du Sénégal. Ceci dans le but de stimuler l’esprit d’entreprise et l’employabilité chez les jeunes.
-Le développement et la mise en œuvre d’un projet de renforcement économique et de résilience des communautés vulnérables post-Covid-19. Celui-ci a favorisé la résilience économique des communautés fortement touchées par la pandémie grâce au soutien aux activités génératrices de revenus et une bourse trimestrielle inconditionnelle mais aussi des activités de sensibilisation, des formations. Près de 1.700 ménages identifiés à partir du Registre national unifié ont bénéficié de ces interventions.
Selon vous quelle est la place de l’éducation et la formation dans la préparation des jeunes à aborder le marché de l’emploi ?
Au Sénégal, les moins de 20 ans représentent 52,1% de la population. La question des compétences des jeunes et le développement de leur potentiel sont donc des enjeux nationaux très importants.
La nature changeante du travail donne de l’importance aux compétences qui permettent aux jeunes de s’adapter, de faire preuve de résilience et de résoudre les problèmes de manière créative. Dès lors, l’État du Sénégal a initié des réformes dans le secteur de l’enseignement secondaire afin de mieux l’adapter aux besoins en main-d’œuvre et aux exigences d’un enseignement supérieur rénové et de qualité. Des mesures sont mises en œuvre comme la recherche d’une meilleure articulation entre l’offre d’enseignement et les besoins de l’économie nationale en facilitant la mise en place de plus de filières scientifiques, techniques, et technologiques.
La carte de la formation professionnelle est en train d’évoluer en fonction des besoins de l’économie et des potentialités des différents pôles de développement économique du pays.
La Fondation Mastercard s’inscrit dans le sillage des efforts de l’Etat du Sénégal. A titre d’exemple, le projet « Amélioration des Performances de Travail et d’Entreprenariat » (APTE) qui vise à renforcer l’employabilité des jeunes par le développement de la gestion technique et des compétences transférables nécessaires sur le lieu de travail, y compris leur esprit d’entreprise. Il cherche également à intégrer les compétences en matière d’emploi dans ces programmes d’études des établissements d’enseignement et de formation professionnelle. Fruit d’un partenariat entre la Fondation et le Centre pour le Développement de l’Education (EDC), le projet est mis en œuvre depuis 2016 dans 210 établissements d’enseignement secondaire du premier cycle et 68 centres de formation professionnelle et technique dans les régions de Thiès, Diourbel, Ziguinchor, Kolda, Tambacounda, Kédougou, Sédhiou, et Dakar pour une période de cinq ans.
Le Centre pour le Développement de l’Education, partenaire de mise en œuvre travaille avec les autorités éducatives pour inclure l’éducation à l’esprit d’entrepreneuriat des jeunes dans les programmes officiels d’enseignement et de formation.
Comment appréciez-vous la question de l’emploi des jeunes au Sénégal ? Comment votre stratégie actuelle pourrait-elle contribuer à apporter une réponse à la demande des jeunes ?
L’emploi des jeunes constitue une préoccupation majeure. La Fondation Mastercard travaille sur plusieurs initiatives, tout en tirant des leçons de la première année de mise en œuvre de la stratégie « Young Africa Works » et des effets de la pandémie de Covid-19 sur l’économie sénégalaise.
Nous avons mené un exercice de diagnostic assez exhaustif pour mieux comprendre la situation de l’emploi des jeunes et identifier les secteurs à fort potentiel de création d’emplois. Les priorités nationales ont été prises en compte et les principaux acteurs de l’emploi des jeunes impliqués dans le processus. A l’issue de celui-ci, de nouveaux programmes sont en train d’être cocréés avec divers partenaires dans le pays pour obtenir un impact durable et à long terme pour les jeunes.
TE/APA