Sous le feu des projecteurs depuis dimanche après avoir été conservé plus d’un siècle au Musée de l’armée française « sous le numéro d’inventaire 6995 », le sabre du résistant El Hadj Oumar Tall « ne retournera pas en France » comme le laissent penser certains commentaires et mérite par ailleurs un « travail de compréhension » au bénéfice de l’histoire du Sénégal dont la réécriture est en cours, selon l’universitaire sénégalais, Felwine Sarr.
« Il serait intéressant également pour la famille omarienne de comprendre ce que ce sabre et les autres objets d’El Hadj Oumar signifient pour eux et pourquoi il était important qu’elle les récupère. C’est ce travail de compréhension de pans entiers de notre histoire, que cette restitution ouvre comme chantier. Si nous l’analysons de notre perspective », a écrit lundi sur sa page Facebook M. Sarr.
Avec l’historienne française Bénédicte Savoy, il a produit en novembre 2018 un rapport commandité par le président français Emmanuel Macron sur la restitution des biens culturels et du patrimoine africain.
Dimanche dernier, lors d’une grande cérémonie à la salle des banquets du palais de la République du Sénégal, il était présent lorsque le président Macky Sall a reçu des mains du Premier ministre français Edouard Philippe le sabre du conquérant musulman sénégalais qui a vécu de 1796 avant de disparaître mystérieusement en 1864 dans les falaises de Bandiagara, au Mali, d’après les récits officiels.
De père en fils ?
Né à Halwar dans le royaume du Fouta-Toro, au nord du territoire de l’actuel Sénégal, El Hadj Oumar était un chef spirituel, érudit musulman et membre de la confrérie soufie Tidjaniya, à l’origine de l’empire toucouleur qu’il conquit par le Jihad et qui s’étendit sur des territoires situés aujourd’hui au Sénégal, en Guinée et au Mali, rappelle Felwine Sarr, enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (nord) et non moins écrivain engagé sur la mémoire et la contribution de l’Afrique au devenir du monde.
Opposé ainsi à la présence coloniale française dans la région, « son fils Ahmadou Tall lui succéda et poursuivit la lutte contre la pénétration coloniale. En 1893, à Ségou (désormais capitale de l’empire toucouleur), Ahmadou s’opposa aux troupes du colonel Louis Archinard et c’est au cours des combats qui ont lieu à Bandiagara en avril 1893, que ce sabre est pris par les troupes françaises », explique M. Sarr.
Toutefois, d’autres versions contestent la paternité de ce sabre à El Hadj Oumar et l’attribuent exclusivement à son fils Ahmadou Tall.
Cependant, le président Sall l’a remis hier à la famille omarienne, grandement répartie en Afrique de l’ouest (Mali, Guinée Nigéria, Niger), qui à son tour l’a remis au directeur du Musée des Civilisations noires de Dakar.
Le sabre en question « fut fabriqué à Klingenthal dans le Bas-Rhin et comporte une lame française de sabre d’officier d’infanterie modèle 1821, dite +à la Montmorency+ ».
Mais pour Felwine Sarr, il « serait aussi intéressant de comprendre comment El Hadj Oumar a acquis ce sabre. Lors de ses conquêtes militaires, ses armées étaient équipées d’armes légères françaises fournies par les trafiquants britanniques de Sierra Leone. Certainement que d’autres sources d’approvisionnement en armes existaient également ».
« Le sabre est bien restitué au Sénégal »
Par ailleurs, certains médias ont laissé croire que la restitution de ce sabre était temporelle, ce qui n’en est rien pour l’universitaire sénégalais. « Le sabre est bel est bien restitué au Sénégal. Vu que pour l’heure la loi française ne permet pas de restitutions, l’instrument juridique qui permet de restituer de facto (dans les faits) est le dépôt à long terme, renouvelable », explique-t-il.
Evacuant le débat à ce niveau, il rappelle que cet instrument juridique « a été utilisé pour la restitution des manuscrits coréens et d’autres restitutions que la France a effectuées et ces objets restitués ne sont jamais retournés en France et n’ont pas vocation à l’être ».
La restitution de ce sabre est ainsi « un début encourageant », magnifie Felwine Sarr même si, note-t-il, « le combat doit continuer ».
Le combat est que « les pays africains doivent formuler des demandes de restitutions, liste d’objets à l’appui, adressées à la France, d’autant que les inventaires sont faits. Afin que cette dernière (la France) ne vienne pas dire un jour : +J’étais prête à restituer, mais les Africains n’ont pas fait de demandes+».
ODL/te/APA