A la date du dimanche 24 février, l’Eglise sénégalaise, en plus de ses traditionnelles prières dominicales dans les différentes chapelles du pays, aura à s’occuper du premier tour de l’élection présidentielle à travers ses 1000 représentants commis à la supervision du scrutin.
Saluée par beaucoup d’observateurs, cette démarche de l’Eglise n’inquiète pas moins certains qui s’interrogent sur l’opportunité de l’immixtion de la religion dans la politique.
Apaisant cette crainte, Alphonse Seck, secrétaire exécutif de la Commission épiscopale interterritoriale Justice et Paix, relève que l’Eglise n’est pas néophyte en la matière. En effet, souligne-t-il, le clergé en sera à sa quatrième mission d’observation, après avoir supervisé « les deux tours de la présidentielle de 2012 et les élections législatives (2017) qui ont suivi ».
Pour la présidentielle de 2019, les observateurs de l’Eglise catholique viendront de toutes les diocèses du pays et subiront une formation avant d’être déployés dans chacune des 14 régions ainsi que dans « au moins une trentaine de départements » sur les 45 que compte le Sénégal, rassure Alphonse Seck.
A en croire ce dernier, les missionnaires de l’Eglise auront en plus d’observer le déroulement du scrutin, à sensibiliser les populations pour qu’elles aillent voter dans « la paix et la sérénité ».
C’est dans ce cadre que s’inscrit la démarche de la Commission épiscopale interterritoriale Justice et Paix du Sénégal, a souligné Alphonse Seck, précisant que l’Eglise entend jouer son rôle qui « est de travailler à tout ce qui peut promouvoir la paix sociale, la justice ». Et pour cause, ajoute-t-il, souvent en Afrique, les élections génèrent des « contestations », sources de « troubles ».
Une « belle initiative citoyenne »
Cette démarche de l’Eglise est saluée par beaucoup de politiciens, à l’image de Moustapha Diakhaté, membre du parti présidentiel APR et ancien président du groupe parlementaire de la majorité. Selon lui, cette « belle initiative citoyenne des catholiques sénégalais est un gage supplémentaire d’un scrutin transparent, aux résultats incontestables et susceptibles d’être acceptés par toutes les parties prenantes de bonne foi ».
« On a toujours parlé de la nécessité d’avoir des élections transparentes. Des élections libres et régulières. L’Eglise s’engage à travailler dans ce sens pour que le processus électoral, du début à la fin, se déroule dans d’excellentes conditions. Je crois effectivement, de ce point de vue-là, que l’Eglise est totalement dans son rôle », analyse, pour sa part, le sociologue Djiby Diakhaté, relevant au passage que « les sociétés africaines sont fondamentalement traversées par la spiritualité, la croyance et les représentations ».
Pour Mouhamadou Lamine Bara Lô, un proche de Khalifa Sall, l’ex-maire de Dakar écarté de la présidentielle à cause de son emprisonnement, « l’église fait partie des régulateurs sociaux de ce pays. C’est leur devoir que de s’engager pour une élection transparente. Elle a, dans son ensemble, fait preuve d’équidistance jusqu’ici. Cette attitude lui confère une certaine crédibilité ».
Tout en parlant d’« une bonne initiative », M. Lô ne relève pas moins qu’« il sera difficile pour (l’Eglise) d’avoir un impact sur les forfaitures faites en amont ». Il fait sans doute allusion à l’emprisonnement de son leader.
Un gage de transparence ?
Insistant sur ce point, il martèle : « Quelle que soit leur efficacité (observateurs), la transparence du déroulement du vote n’est pas gage de transparence d’une élection. Il y a des actions en aval et en amont, surtout, qui leur échappe ».
Pour sa part, Amadou Makhtar Kanté, imam à la grande mosquée de Point E (centre-ville), et très présent dans les médias, se montre prudent.
« De mon point de vue, souligne-t-il, il serait mieux qu’il n’y ait pas de coloration religieuse pour les observations du processus électoral. Et qu’on se limite à outiller et à aider les associations de la société civile qui ont la compétence et l’habitude de le faire ».
Certes sur « le principe », l’Eglise remplit les « critères » pour être observatrice, reconnait l’imam avant d’ajouter : « Les associations musulmanes – par exemple le califat de Touba, Tivaouane, Ndiassane, etc. – pourraient aussi dire que nous aussi on va déployer des observateurs. Je pense que l’on pourrait aller à des situations de tension si sur le terrain de l’observation électorale, qui est très sensible, et où dans les bureaux on dit : +Voilà les chrétiens qui observent, voilà les musulmans qui observent…+ ».
Du côté de ces derniers, très largement majoritaires au Sénégal, aucune de leurs organisations, voire leurs confréries n’ont pour le moment pas adopté la démarche de l’Eglise. C’est tout juste si des appels à la paix sont lancés ici et là par les autorités musulmanes qui, visiblement, optent pour la neutralité, vu qu’elles comptent des disciples du côté de l’opposition comme du côté du pouvoir.
Tension avant l’heure
Quoi qu’il en soit, les appels au calme d’où qu’ils viennent ne seront pas de trop compte tenu de la tension verbale en cours. Là où la majorité présidentielle sous-estime l’opposition en déclarant que son candidat, le président sortant, Macky Sall, sera élu facilement au premier tour, le camp d’en face crie à une fraude en préparation.
Pour l’opposition, ses accusations sont confortées par le parrainage, instauré en avril dernier à l’Assemblée nationale pour limiter les candidatures, le manque de fiabilité sur la carte électorale et les ennuis judiciaires qui ont mis sur la touche Khalifa Sall et Karim Wade.
Même si quatre opposants –Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Madické Niang et Elhadji Issa Sall– ont reçu l’onction du Conseil constitutionnel, il reste que l’opposition agite toujours l’éventualité d’un coup fourré, d’où la mise sur pied par ses soins du C25 (Collectif des 25 candidats de l’opposition) sur la vérification des parrainages par le Conseil constitutionnel et de la Plateforme opérationnelle de sécurisation des élections (POSE).
ODL/cat/APA